"Mon père a été chanteur, footballeur, professeur de judo, parachutiste, espion, pasteur d’une Eglise pentecôtiste américaine et conseiller personnel du général de Gaulle jusqu’en 1958. Un jour, il m’a dit que le Général l’avait trahi. Son meilleur ami était devenu son pire ennemi. Alors mon père m’a annoncé qu’il allait tuer de Gaulle. Et il m’a demandé de l’aider.
Je n’avais pas le choix.
C’était un ordre.
J’étais fier.
Mais j’avais peur aussi…
À 13 ans, c’est drôlement lourd un pistolet."
- ajouté par Juliana -
"Nous n’étions que nous, ma mère et moi. Lorsque le cercueil de mon père est entré dans la pièce, posé sur un chariot, j’ai pensé à une desserte de restaurant. Les croque-morts étaient trois. Visages gris, vestes noires, cravates mal nouées, pantalons trop courts, chaussettes blanches et chaussures molles. Ni dignes, ni graves, ils ne savaient que faire de leur regard, de leurs mains. J’ai chassé un sourire. Mon père allait être congédié par des videurs de boîte de nuit."
Humour très noir comme un vomissement, pour laisser éclater la révolte trop longtemps contenue, la souffrance de l’enfant-jouet d’un père tout-puissant, pervers jusqu’à la moelle. Violences physiques, violences psychiques à l’infini… Paradoxalement l’adolescent admire ce père dont il croit pouvoir se faire aimer en devançant ses exigences, jusqu’à presque commettre l’irréparable. Silence de la mère : (peur ou consentement) ? Ce qui conforte le huis clos où la famille est enfermée, ficelée par la folie démoniaque du père.
Sorj Chalandon a su capter et transcrire pudiquement toute la subtilité des sentiments de l’adolescent qu’il fut avec une grande virtuosité littéraire.